L’origine de la sobrassada (sorte de saucisson) se perd durant l’histoire antique à l’apogée de son développement et de sa splendeur dans les territoires du Moyen-Orient. Il devint nécessaire de créer une formule pour conserver les aliments durant des périodes de temps indéterminées, et, après le succès éprouvé des méthodes de salés, la technique consistant à fourrer de la viande hachée d’animaux dans leurs propres boyaux fut inventée. Mais sur l’île de Majorque, il est alors encore trop tôt pour parler de cette technique. Cette île se trouve submergée dans une société limitée -la talaiotique- et les recherches n’ont pas permis de déterminer l’utilisation d’un type quelconque de technique pour la conservation de la viande de porc, bien qu’il existait un cheptel porcin important.
Comme dans tous ses domaines, le bassin méditerranéen fut sous l’Empire Romain un excellent bouillon de culture pour expérimenter de nouvelles techniques de conservation des aliments et surtout un véhicule pour la mise en commun des méthodes propres à la province romaine. C’est à ce moment que ces techniques arrivèrent sur l’île.
Lors du séjour productif des musulmans sur l’île, nous ne possédons pas de traces de la survivance de l’élevage de porcs. Il est nécessaire d’attendre l’arrivée de la culture chrétienne occidentale pour que l’exploitation du porc redevienne généralisée. Durant l’époque médiévale, les formules de conservation sont à nouveau appliquées à Majorque, on parle du lard, et dans les premiers inventaires des maisons, on évoque déjà des pièces de viandes suspendues dans les garde-manger. Mais il manque toujours une série de conditions socioculturelles et une évolution de la charcuterie de type saucisse pour arriver au produit le plus emblématique de notre île.
Le premier élément révélateur connu date de l’expansion de la Renaissance dans le bassin méditerranéen, concrètement en Sicile, où était utilisée une technique du nom de sopressa (qui signifie « pressée », origine étymologique évidente de notre dénomination) appliqué à la viande à saucisse. De là, elle passe très probablement à Valence grâce à l’important commerce maritime de l’époque, point de développement du produit jusqu’à Majorque, où il fut rapidement adopté.
C’est à partir du XVIème siècle que Majorque développe une tradition importante de charcuterie avec ses premiers signes distinctifs propres, et en quelques années, la sobrassada devient l’une des formes de conserve alimentaire habituelle dans les garde-manger majorquins.
L’enracinement de la sobrassada dans le cour de la société majorquine est définitif dès le XVIIème siècle et passe d’une simple forme de réserve de viande à un signe caractéristique apprécié d’une gastronomie exquise et propre à l’île.
Le XVIIIème siècle peut être considéré comme une époque charnière pour la sobrassada. C’est à la fin de ce siècle que se produit le changement le plus important concernant la présentation du produit : sa couleur rouge. Le piment rouge moulu (paprika), originaire d’Amérique et importé en Europe durant les premiers voyages continentaux, est intégré à la recette et lui confère sa couleur rouge si caractéristique et remarquable. Et ce n’est pas tout : en accord avec une société cultivée dont la technologie progresse, les instruments manuels pour hacher la viande sont remplacés par des machines beaucoup plus efficaces.
À partir de ce moment, la sobrassada connaîtra peu de modifications par rapport à celle d’aujourd’hui. Le seul facteur qui augmenta la production fut l’industrialisation de la société du XXème siècle et en particulier de son produit le plus représentatif. Les fabriques de charcuterie s’installèrent peu à peu à Majorque, et la commercialisation et la diffusion de ce produit en ont fait l’un des ambassadeurs les plus appréciés hors de notre île et un aliment de base présent dans tous nos garde-manger et réfrigérateurs.
Grâce au succès et à l’acceptation reçus par sa diffusion, les fabricants ont dû créer le Conseil Régulateur, lequel s’est chargé d’obtenir la Dénomination Spécifique Sobrassada de Majorque, objectif atteint en 1993. Cette dénomination protège le nom de Majorque en tant que zone exclusive d’élaboration et de traitement de la charcuterie.